Éloge de la zététique.
Notre cerveau reptilien, et dans le meilleur des cas notre système limbique, seraient-ils les seuls que nous sollicitons devant le flux d’informations reçu d’Internet ? Tout se passe comme si nous mettions notre néocortex en sommeil et que l’émotion prenne le pas sur la raison.
La prise de décision, l’esprit critique, le raisonnement sont des phénomènes complexes qui commencent seulement à être compris. Les progrès récents des neurosciences ont permis de localiser les centres de certains mécanismes. (1)
La prise de décision par exemple peut être considérée comme instinctive. Elle ne sollicite que notre cerveau reptilien et pour partie notre système limbique. C’est compréhensible quand on se remémore que cette partie de notre cerveau à 400 millions d’années d’évolution (en tous cas pour la première) et que nos lointains ancêtres reptiles devaient déjà prendre des décisions rapides et vitales : proie ou prédateur ? Comestible ou empoisonné ? Fuir ou attaquer ?
Presque rien n’a changé depuis; nous prenons les décisions, même importantes, inconsciemment et nous les rationalisations ensuite. Cette rationalisation fait appel à notre néocortex qui est lui spécifiquement humain et n’a « que » 3,6 millions d’années d’évolution, moins de 1% de celle de notre cerveau reptilien.
Par exemple, nous allons visiter un appartement. Il va nous plaire sur un « coup de cœur » que nous ne savons pas expliquer. A ce stade notre néocortex reste en sommeil.
Par contre pour concrétiser cette décision nous allons faire appel à lui : les transports sont-ils proches, puis-je le financer, Y a-t-il de bonnes écoles… Notre décision instinctive/émotionnelle ne sera confirmée que s’il n’existe pas trop de raisons rationnelles de ne pas la prendre. Mais ne nous trompons pas, ce n’est pas le néocortex qui nous fais prendre la décision, il peut simplement annuler progressivement une décision de notre système reptilien / limbique.
Face à la déferlante d’information sur Internet nous agissons fréquemment comme si nous n’avions pas beaucoup évolué. Devant des « fakes new », des « hoaxs »… notre esprit critique semble défaillant et nous avalons les bobards les plus improbables. La reprise de « bonne foi » d’article du Gorafi par des organes de presse ou des politiques en est une illustration à la fois amusante et inquiétante. J’ai même vu circuler il y a quelques années une chaîne de solidarité pour venir en aide à une petite fille qui aurait été victime d’un cancer des testicules sans que cela semble gêner ceux qui la relayait !
Notre esprit critique parait en sommeil devant le flot d’informations Internet. Tout se passe comme si la crédibilité d’une information dépendait de sa diffusion : nombre de likes, de vues, de transferts… Si cette tendance se maintenait, le futur du numérique ne consisterait pas seulement développer l’intelligence artificielle mais avant tout à renforcer la bêtise naturelle.
Il existe pourtant une discipline adaptée et enseignable, la zététique, ou art du doute. Il y a un laboratoire de zététique rattaché à l’université de Nice – Sophia Antipolis et crée par Henri Broch. Le concept a été présenté et développé par Georges Charpak (nobel de physique) dans son ouvrage de 2002 «Devenez sorciers, devenez savants».
Si nous voulons nous protéger et protéger les enfants et adolescents, première cible de la désinformation, des méfaits des fausses nouvelles et des bobards, l’esprit critique est notre meilleure défense. Ne nous laissons plus dominer par le système nerveux de nos ancêtres serpents et faisons travailler notre néocortex en priorité.
Vive la zététique !
Pierre François
CEO Vascoo UP
(1) Avant que les spécialistes des neurosciences ne critiquent mon exemple fondé sur la théorie du cerveau triunique, je sais que cette dernière est aujourd’hui désuète mais elle est plus simple pour illustrer mon propos.