La transformation numérique des entreprises se résume parfois à une suite de chantiers choisis pour leur ROI mais sans stratégie d’ensemble. Agir de cette façon peut sembler efficace à court terme mais risque de faire passer l’entreprise à côté d’une nécessaire disruption et notamment de l’évolution de l’attente des clients. Pour ne pas marcher sur cette chausse-trappe, il faut concevoir une stratégie numérique à moyen terme mais l’exécuter en petites étapes rapidement mesurables et ajustables. La gestion d’un double horizon de temps est essentielle.
Transformation numérique, les risques de myopie ou d’hypermétropie ?
Une étude d’IBM en 2015 montre que 80% des entreprises qui ont engagé une transformation numérique ne peuvent pas expliquer quelle en est la raison. De prime abord, ce chiffre peut paraître surprenant mais s’explique aisément. Cela signifie que dans 80% des cas il n’y a pas de stratégie numérique globale mais une série de chantiers : multicanal, dématérialisation, visibilité numérique, valorisation des données, … qui ne constituent pas une stratégie ou une disruption.
Pour avoir une stratégie numérique, il est nécessaire qu’elle soit portée par la direction et l’ensemble du COMEX : Elle est nécessairement horizontale et déborde les directions de l’entreprise prises isolément. Les projets sont trop souvent initiés par les directions elles-mêmes (DSI, Direction Commerciale, Opérations, …) et restent dans le silo constitué par ces directions ou peu s’en faut.
C’est le risque de myopie : voir les projets isolés sans pouvoir les replacer dans un plan d’ensemble. Cela conduit à adopter et implémenter des technologies sans faire évoluer le management, les processus et surtout l’offre de l’entreprise. Dans une étude réalisée par le MIT conjointement avec CAP GEMINI, les auteurs ont nommé les entreprises qui se comportent de cette façon les « Fashionista ». En moyenne, elles génèrent de la croissance mais sous-performent en termes de rentabilité et de création de valeur.
Comment éviter les erreurs des « Fashionista »?
Pour éviter ce risque, un plan stratégique sur 3 à 5 ans est indispensable. Il doit au minimum :
- définir les objectifs à atteindre ainsi que leurs jalons.
- formaliser la vision de l’entreprise sur l’évolution du marché et plus spécifiquement sur les attentes des clients.
- analyser l’impact des nouveaux possibles introduits par la transformation numérique sur le marché, l’entreprise et les concurrents.
- choisir clairement quels sont les possibles qui vont être utilisés comme leviers et quand.
La technologie ne doit jamais être le point de départ mais le point d’arrivée. La réflexion s’appuie sur les nouvelles possibilités induites par une ou plusieurs technologies combinées.
En somme, ce plan est la synthèse de la vision de la transformation numérique par l’entreprise, avec la façon de profiter des opportunités et d’éviter les écueils. La vitesse des changements nécessite de le réviser très fréquemment, en général tous les 6 mois, pour s’assurer si il ne doit pas être adapté en fonction des nouvelles données apparues depuis.
Cette étape est indispensable mais pas suffisante. L’époque n’est plus à des projets sur plusieurs années dont on ne peut mesurer le résultat qu’une fois qu’ils sont achevés. Le lean management, les méthodes agiles, l’esprit « startup »… ont conduit les entreprises à adopter des approches plus réactives. Mais la raison principale pour laquelle un plan de transformation numérique doit être exécuté à petits pas, c’est qu’il faut prendre des risques.
Pourquoi faut-il forcément prendre des risques ?
Parce que le bon moment pour agir est dans le segment des innovateurs. Faire mouvement avec les précurseurs est anticipé : trop coûteux et aléatoire. Attendre les suiveurs, même précoces, c’est laisser ses concurrents prendre une avance difficilement rattrapable.
Agir au bon moment signifie aussi qu’il existe encore quelques risques de se tromper. Lorsqu’on attend que ces risques aient disparu, il est trop tard. Il est sain de prendre des risques. Ce comportement est indissociable de l’esprit d’entreprise. Il faut toutefois mieux éviter que ces risques puissent être mortels. On peut tomber en skiant, cela n’empêche pas d’avoir un casque et des fixations de sécurité.
De la même façon nous recommandons de réaliser des chantiers courts, 2 à 6 mois, et d’en mesurer les résultats dès qu’ils sont achevés. Si ces résultats ne sont pas alignés avec les attentes, il est possible de corriger le tir. Dans le pire des cas si le chantier doit être abandonné pour être refait, c’est un échec mais avec des conséquences modérées et en aucun cas létales.
Les entreprises qui se comportent de la sorte, avec une vision à long terme et une exécution à petits pas, sont appelée « Digirati » dans l’étude MIT/CAP GEMINI déjà citée. Ce sont les seules à surperformer dans les 3 catégories : croissance, rentabilité, création de valeur.
Réussir sa transformation numérique nécessite une vision claire à moyen terme, et donc d’éviter la myopie. Une exécution agile et flexible par des chantiers courts et mesurables évite l’hypermétropie.
C’est le rôle de la direction des entreprises de ne pas être uniquement de bons gestionnaires mais aussi des visionnaires. Ils sont le plus souvent accompagnés par des CDO internes dans les grandes entreprises et des CDO externes pour les PME et les ETI.
Pierre François
P-DG Vascoo UP
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